Revu 'Signs' il y a peu.
Frappant de s'apercevoir que le jeune cinéaste d'origine indienne apparaît comme l'un des réalisateurs américains les plus doués et intéressants du moment. Surprenant de se rendre compte qu'il s'agit peut-être du seul de sa génération, j'entends parmi ceux travaillant dans le 'mainstream', à s'interroger sur l'image cinéma, comme, disons, Brian de Palma peut le faire.
'Signs', pareil titre ne saurait prêter à confusion, constitue, il me semble, un jalon important dans la courte filmographie de Shyamalan : il ne parle en effet que de la manière d'interpréter les images, de décoder ces fameux signes. C'est aussi dans ce long métrage que la 'mystique' de Shyamalan se déploie de la façon la plus littérale. Rappelons l'enjeu dramatique du film : à la suite d'événements traumatiques ( une invasion extra-terrestre avortée, rien de moins ) le personnage interprété par Mel Gibson, un ex-pasteur retrouve la foi et en même temps un sens à son existence passée et future.
On voit bien la raison des objections que certains ont formulé à l'encontre de la dimension religieuse du métrage. Le film, en effet, peut facilement être récupéré par la nouvelle droite conservatrice américaine pétrie d'évangelisme. Cela dit, toute uvre travaillant les notions de spiritualité et de destin ( concept fondateur de la culture historique américaine ) peut faire l'objet de pareille récupération. uvre de propagande 'Signs' , sans doute, mais pas plus que l'ensemble de la production hollywoodienne. Reprocher au film de Shyamalan son prosélytisme, cela revient peut-être à le blâmer d'être un film inscrit profondément dans la culture américaine : débat un peu stérile qui occulte les réelles qualités du métrage. Par ailleurs le film s'inscrit au sein d'un travail plus large ( six long métrages ) qui tour à tour nourrit et questionne la notion de destin.
Il n'est pas mon intention de remettre en question une évidence, M. Night Shyamalan est sans conteste un cinéaste mystique et mythologique. Les évènements intra et extra-diégétiques de 'Signs' ont tous une raison d'être. La notion de hasard est mise en échec, c'est là la grande leçon du film. La quête du Père Graham Hess, quête du sens est aussi une initiation : le parcours entre une mauvaise et une bonne interprétation des signes.
Le cinéaste fonde son récit sur le regard et la perception de ses protagonistes. En fait d'acteurs, ces derniers sont récepteurs tantôt passifs tantôt actifs de données sonores et visuelles qui semblent bien difficiles à traiter et se consacrent pendant une grosse moitié du film à cette tâche assez ingrate :
A cette série de décodages à opérer s'ajoutent les réponses à apporter aux éternelles questions d'ordre métaphysique qui préoccupent l'humanité depuis la nuit des temps.Ce n'est d'ailleurs pas tant le questionnement lui-même qui est émouvant mais la mise en scène de ce questionnement tel qu'il apparaît dans le film : une très belle scène de monologue murmuré dan la pénombre sur un vieux canapé devant un poste de télé. Cette délicatesse dans la mise en image est d'ailleurs l'une des grandes qualités du jeune cinéaste.
De ce travail d' interprétation des images et des sons
dépendent, bien sûr, le bien-être des personnages, le bonheur, la cohésion de
la cellule familiale ( elle est au début du film encore sous le choc d'un deuil
et au bord de l'implosion ) mais
bientôt, tout simplement, la survie du groupe.
De façon assez claire, survivre, chez Shyamalan, c'est
bien voir.
Cette maxime, j'ai envie de dire, était déjà au cur du
récit des deux précédents films du réalisateur 'The Sixth sense' et 'Unbreakable'.
Qu'est-ce que ce sixième sens en effet sinon cette capacité
à déchiffrer correctement l'image ? Les fameuses visions spectrales du
petit Cole.
Cette science du décodage, du décryptage est essentielle si
on veut arpenter l'univers visuel proposé par le cinéaste.
En terme de mise en scène cela va sans dire, Shyamalan a
souvent recours au surcadrage. A cet égard, le premier plan de 'Signs'
est emblématique : la vision à travers une fenêtre du jardin avec sa
balançoire et des champs cultivés alentour.
Non seulement la vision est filtrée mais la nature du plan
même est ambiguë.
D'emblée, le plan d'ouverture du film pose donc problème du fait de sa polysémie.
Qui regarde mais aussi qui est regardé ?
Un parc d'enfants bordé par des épis de mais, un lieu sûr,
protégé évoquant à la fois l'Amérique innocente des fermiers chère àThomas Jefferson et celle bucolique qu'a peinte Norman Rockwell ?
N'est-ce pas plutôt une Amérique sans repères, orpheline (
le décor est déserté par les enfants Bo et Morgan qui, nous l'apprendrons
bientôt, ont perdu leur mère), une Amérique de la culpabilité,de la peur, de la
menace comme ce regard volé à travers la vitre nous le suggère ?
Le plan, à bien y réfléchir, est subjectif mais l'absence de
contre-champ ne laisse pas d'inquiéter. Qui regarde ? Ce n'est pas le père/Père
Graham, ce dernier en effet, omniscient ou bien réel, est absent.
Il faudra découvrir qui regarde et ne pas se méprendre sur
son identité. Retrouver du sens, retrouver un guide, retrouver le père
peut-être…
Mais que d'obstacles sur ce chemin.
La réalité est constamment filtrée par divers moyens:
l'alien qui se reflète dans l'écran du téléviseur éteint ou discerné à travers
un verre d'eau, les miroirs, les encadrements, le pommeau d'une porte dans 'The
Sixth sense', jusqu'à la lame d'un couteau dans 'Signs'.
C'est parfois le régime même des images qui change et il
faut voir avec quelle habileté Shyamalan joue avec toute l'imagerie de
l'Ufologie, des canulars et des théories
conspirationnistes en utilisant
images d'actualité, journaux télévisés, livres ou photos. A ce titre, le home
movie brésilien où l'on aperçoit pour la première fois un envahisseur est un délicieux
moment de terreur pure.
Lorsque le plan n'est pas surcadré ou filtré, c'est l'image
qui est carrément obstruée : voir la séquence de l'alien derrière la porte
dans la cuisine de Ray, l'homme qui a accidentellement tué la femme de Graham mais
surtout cette incroyable séquence de la cave où les protagonistes sont tout
bonnement privés de regard. Terrés au fond de leur cave, ils se trouvent dans l'incapacité
de déterminer les agissements des aliens dans la maison ( il y a longtemps que
le terme d'invasion n'avait pas trouver illustration aussi frappante à l'écran
).
C'est bientôt à notre tour de nous voir confisquer nos prérogatives
de spectateur quand, au comble de la tension dramatique, le cadre se retrouve
plongé dans l'obscurité. Sans la faculté de voir, Shyamalan va jusqu'à nous
priver de l'espoir, si mince fût-il, d'interpréter correctement l'image.
Il est normal que cette séquence, moment de la catharsis
pour le Père Graham, compte parmi celles les plus noires et les plus désespérées
de la courte carrière du jeune metteur en scène.
On s'en rend compte, les parallèles thématiques et formels avec
les autres films de M. Night Shyamalan et notamment avec 'The Village' sont nombreux et c'est ce qui rend le
travail de ce cinéaste si passionnant.
Il faudrait encore parler de la direction d'acteurs constamment
irréprochable, de Joachim Phoenix, de la musique sobre et élégante de James
Newton Howard, de la belle photographie de Tak Fujimoto déjà responsable de
celle du 'Silence of the Lambs' de Jonathan Demme mais je vais me
concentrer sur l'essentiel.
Au final, la dimension religieuse du récit est intimement
liée chez Shyamalan aux questions de cinéma. C'est comme si le destin était
inscrit dans l'image et qu'il suffisait de savoir lire correctement cette
dernière pour accéder au sens et à une forme d'harmonie, de paix intérieure. Je
ne saurais dire à quel point les origines indiennes du cinéaste nourrissent sa
démarche de cinéaste, je ne me hasarderai donc pas en conjectures.
Je parlais de jalon à propos de 'Signs' parce qu'il constitue à mon avis un aboutissement formel et narratif. Le système conçu et expérimenté dans les films précédents de Shyamalan se met ici parfaitement en place. C'est aussi d'un point de vue créatif un moment périlleux pour le cinéaste, le moment de la remise en question. C'est avec 'The Village', le film à mon sens le plus émouvant et mystérieux du réalisateur, que Shyamalan va redistribuer les cartes, saper le système qu'il a lui même instauré et questionner une nouvelle fois la nature des images,de la foi et du destin. 'The Village' est aussi son premier échec commercial après une série de succès. Ce n'est guère une surprise tant le film a été mal vendu mais c'est à la lumière des autres uvres du metteur en scène et en particulier à celle de 'Signs' qu'il convient de juger une uvre anodine et explicite en surface et si subtile et mystérieuse en profondeur. Plus que jamais dans 'The Village', l'enjeu du récit est fondé sur le regard, mais ce dernier est plus fragile, incertain, plus douloureux aussi, plus humain en somme. A-t-on vu meilleur programme de cinéma ?
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